Vote de la loi bioéthique au Sénat : décryptage des AFC

Date de publication : Mar 11, 2020 3:31:13 PM

Le 4 février 2020, le Sénat a adopté par 153 voix contre 143 le projet de loi relatif à la bioéthique, après avoir apporté plusieurs amendements au texte transmis par l’Assemblée Nationale.

Nombre de ces amendements nous ont surpris et déçus. Nous espérions que le Sénat, en majorité à droite, poursuivrait le travail courageux des députés de droite de l’Assemblée Nationale. Il n’en fut rien. Une explication en a été donnée par un membre de la chambre haute suivant le conseil du président du Sénat, Gérard Larcher, de nombreux sénateurs dont nous espérions une autre position ont choisi de ne pas rejeter le texte, et notamment l’article 1 ouvrant la PMA à toutes les femmes, afin de montrer que le Sénat avait vraiment sa place dans ce débat. Leur crainte était qu’en supprimant l’article 1, ce qui aurait pu se faire si l’on analyse le résultat du scrutin, ils n’apportent pas leur pierre à l’édifice. Ils ont donc voté l’article 1 par 160 voix contre 116. A partir de là, ils ont travaillé sur les conséquences de cet article 1, en espérant que leurs modifications seraient retenues par l’Assemblée Nationale en raison de leur bonne volonté.

Les sénateurs sont donc revenus sur des points importants de l’assistance médicale à la procréation

- Ils ont écarté la PMA pour couples de femmes et femmes seules du remboursement par la Sécurité sociale, au motif que la prise en charge par l’assurance maladie devait être accordée aux seules demandes fondées sur des indications médicales

- Ils ont supprimé la possibilité de l’autoconservation des gamètes, par crainte du risque de pression sur les femmes pour retarder une grossesse et de tromper les femmes en leur proposant une « assurance grossesse » sans aucune certitude de réussite

- Ils ont rétabli l’interdiction du double don de gamètes, pour que l’enfant ait au moins une ascendance biologique avec ses parents

- Ils ont interdit l’établissement de deux filiations maternelles ou paternelles à l’égard d’un même enfant, alors que l’Assemblée nationale prévoyait une reconnaissance conjointe des 2 femmes devant notaire. Ils ont proposé à la place que l’on modifie les conditions requises pour l’adoption pour permettre l’adoption de l’enfant par la mère d’intention

- Ils ont interdit la transcription totale de l’acte de naissance ou du jugement étranger établissant la filiation d’un enfant né d’une GPA lorsque la mère est autre que celle qui accouche, tout en acceptant la transcription des jugements d’adoption étrangers.

Les sénateurs n’ont pas voulu suivre l’Assemblée nationale sur la levée totale de l’anonymat. Ils ont donc voté que le recueil du consentement du donneur se ferait lors de la demande d’accès à son identité par une personne née de ce don et devenue majeure, et non avant le don. La levée de l’anonymat ne serait donc plus systématique et dépendra de la bonne volonté du donneur, 18 ans après le don, créant ainsi des inégalités pour les enfants issus du don.

Dans le domaine de la recherche, la commission spéciale du Sénat, dont près d’un tiers des membres sont médecins ou pharmaciens, avait considérablement aggravé le texte venant de l’Assemblée. Ces membres ont fortement influencé les votes dans le sens de l’élargissement des recherches, exprimant la crainte que la recherche française ne prenne du retard sur d’autres pays. Est-il prudent que tant de sénateurs, professionnels de la santé -et donc juges et parties- aient été nommés membres de cette commission ? Certaines de ces dispositions ont heureusement été revues dans l’hémicycle :

- Les sénateurs ont ainsi rétabli l’interdiction de la création d’embryons transgéniques et chimériques

- Ils ont confirmé l’interdiction du diagnostic préimplantatoire avec recherche des anomalies chromosomiques, contre la commission spéciale

- Ils ont confirmé l’interdiction de recourir aux tests génétiques exclusivement à visée généalogique, contre la commission spéciale

- Ils ont supprimé la possibilité ouverte par la commission spéciale d’un dépistage préconceptionnel en l’absence de symptômes ou d’antécédents familiaux

D’autres dispositions ont, au contraire, aggravé le texte de l’Assemblée nationale :

- Les sénateurs ont étendu, à titre dérogatoire, le délai limite de développement in vitro des embryons surnuméraires à 21 jours

- Ils ont réintroduit la technique du « bébé-médicament » supprimée par l’Assemblée nationale

- Ils ont confirmé l’ouverture faite par la commission spéciale de la possibilité de tests génétiques en première intention dans le cadre du dépistage néonatal

- Ils ont supprimé la clause de conscience spécifique adoptée par l’Assemblée nationale pour les professionnels de santé : sage-femme, infirmier(e), auxiliaire médical en matière d’interruption médicale de grossesse, contre l’avis de la Ministre.

Le Sénat a enfin ouvert l’autorisation aux femmes accouchant en France de conserver à leurs frais le sang et les tissus du cordon ombilical.

Le texte voté par le Sénat est donc très différent de celui de l’Assemblée sans vraie lisibilité de sa logique interne propre. Si, globalement, les mesures autour de la recherche sur l’embryon sont plus encadrées dans cette nouvelle mouture, le vote de la mesure emblématique de la PMA signe l’incompréhension de la logique d’ensemble du texte par la majorité sénatoriale. En effet, cette mesure ouvre larges les portes de la procréation technique et marchande.

Les désirs individuels d’accès à la maternité, encouragés par la loi de 2013, sont à nouveau provoqués mais se heurteront encore au réel. Cette fois-ci celui de la rareté des donneurs de sperme, provoquant une inévitable course en avant : achat de sperme ou rétribution des donneurs. Ce que les parlementaires n’endiguent pas aujourd’hui sera encore plus difficile à refuser demain.

Nous continuerons de nous opposer à cette loi injuste avec force et détermination.